Au Tchad, des tirs dans N’Djamena et un opposant traqué alors que se profile l’élection présidentielle
Des tirs ont retenti mercredi dans la capitale tchadienne, alors que les autorités tentaient d’arrêter l’opposant Yaya Dillo, accusé d’être derrière l’agression du président de la Cour suprême et une attaque contre les locaux des services de renseignement.
Il est 13 h 33 mercredi 28 février à N’Djamena lorsque des rafales d’armes automatiques et de sourdes détonations réveillent le centre-ville de la capitale tchadienne, jusque-là écrasé par la chaleur. Internet et le principal réseau téléphonique sont coupés, les habitants se précipitent chez eux. Pendant près d’une heure, les tirs semblent provenir de plusieurs zones de la ville.
Les forces de défense et de sécurité viennent de donner l’assaut au siège du Parti socialiste sans frontières, un mouvement d’opposition, pour tenter d’y capturer son président, Yaya Dillo. Plusieurs personnes sont alors arrêtées, selon le ministre de la sécurité publique, Mahamat Charfadine Margui, joint par Le Monde. Officiellement l’opération n’a fait aucune victime. « Le bâtiment est vaste et le fugitif est bunkérisé derrière des portes blindées qui ralentissent l’opération qui est uniquement limitée à cette zone du quartier Klemat », assure le ministre.
Le « fugitif », cible de cette opération, n’est pas un opposant comme les autres. Yaya Dillo est lui-même issu du clan au pouvoir. Il est un cousin de Mahamat Déby Itno, le président de la transition, et bénéficie notamment du soutien de Saleh Déby Itno, le frère de l’ancien président feu Idriss Déby Itno. Depuis l’assaut, ni M. Dillo, ni aucun membre de son parti ne répondaient au téléphone.
« Attaque délibérée »
Il y a trois ans, jour pour jour, le 28 février 2021, l’opposant avait déjà fait l’objet d’une tentative d’arrestation au cours de laquelle sa mère et l’un de ses fils avaient été tués. Lui-même s’était échappé de justesse avant de s’exiler. Revenu à N’Djamena en avril 2021 après la mort d’Idriss Déby, il devait annoncer dans les prochains jours s’il participait à l’élection présidentielle prévue le 6 mai prochain ou s’il appelait au boycott.
Mais depuis l’agression le 19 février du président de la Cour suprême, Samir Adam Annour, dans les locaux de l’instance, Yaya Dillo est surtout accusé d’être le principal commanditaire de cet acte dénoncé comme une « tentative d’assassinat » et une « atteinte à la République » par le président de la transition. Selon des sources proches du gouvernement, cette attaque aurait été menée en représailles à une décision de la Cour défavorable au président du PSF suite à un conflit interne au sein de son parti. L’affaire aurait pris un tour encore plus violent avec l’arrestation, mardi soir, d’Abakar Torabi, le secrétaire chargé des finances du PSF, suspecté d’être l’agresseur du président de la Cour suprême. Selon son parti, celui-ci a en réalité été exécuté par des agents en civil de l’Agence nationale de sécurité de l’Etat (ANSE), les services de renseignement, qui ont emporté son corps dans leurs locaux.
Plus tard dans la soirée, des proches de la victime se sont rassemblés autour du bâtiment de l’ANSE pour réclamer justice. Sur les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, on peut voir plusieurs personnes exprimer leur colère, mais sans brandir d’armes, et invectiver un groupe de militaires visiblement tendus. Que s’est-il passé ensuite ? La situation a « pris une tournure dramatique », selon un communiqué du gouvernement, avec une « attaque délibérée des complices de cet individu menée par des éléments du PSF et à leur tête le président de ce mouvement, Yaya Dillo (…), occasionnant plusieurs morts ».
« J’habite à côté de l’ANSE et l’on a même entendu des tirs de bazooka, affirme un ministre sous couvert d’anonymat. Il y a eu neuf morts et dix-huit arrestations. Les assaillants ont aussi abandonné onze véhicules. »
« Rivalités familiales au sein du clan »
Mercredi matin, les accès au siège de l’ANSE et au siège du PSF étaient interdits par des militaires en armes et plusieurs blindés patrouillaient dans la ville. Autour de la présidence, aucun renforcement de la sécurité n’était visible.
« Le peuple tchadien ne devrait pas être concerné par ces rivalités familiales au sein du clan qui a géré le pouvoir depuis plus de 30 ans !, s’insurge l’opposant Brice Mbaïmon qui siège au Conseil national de transition, l’assemblée provisoire. Ce n’est pas normal dans une République et c’est un très mauvais signal pour les élections à venir. » Le MPS, parti fondé par le défunt président Idriss Déby, s’est déjà mis en ordre de bataille en désignant comme candidat son fils et successeur, Mahamat Déby.
Parallèlement, ce dernier a effectué plusieurs remaniements d’importance au sein de l’appareil sécuritaire en remplaçant notamment le directeur de l’ANSE, Ahmed Kogri, réputé proche de la France, par un fidèle de son entourage. Dernier allié de Paris dans la région, le Tchad diversifie actuellement ses partenaires sécuritaires, passant des accords avec les Emirats arabes unis, la Turquie et même la Hongrie. Le président de transition a également effectué une visite récente en Russie, où il a rencontré Vladimir Poutine.
Dans cette optique, un nouveau corps d’armée, la force d’intervention rapide, a été créé pour assurer la sécurité du pouvoir avec à sa tête Ousman Adam Dicki, un intime du chef de l’Etat. Elle entre en concurrence directe avec la direction générale des services de sécurité des institutions de l’Etat, tenue par le général Taher Erda, qui fut intime d’Idriss Déby.
« Bien au-delà de la présidentielle, son grand projet est d’écarter la vieille garde composée des généraux de son défunt père qui l’ont porté au pouvoir, explique un ancien cadre du régime. C’est une tâche délicate, d’autant qu’il doit préserver les équilibres ethniques. » Pour mener à bien son ambition, Mahamat Déby sait que les principaux dangers viennent de l’intérieur.
Cet article a été publié sur Le Monde.