Cameroun: un an après l’affaire Zogo, les services secrets au cœur des suspicions
Le 22 janvier 2023, le corps d’un journaliste était retrouvé en banlieue de Yaoundé. Un an plus tard, les principaux responsables des services de renseignement sont toujours en prison.
Il y a un an, qui aurait pu imaginer que Léopold Maxime Eko Eko puisse être mis derrière les barreaux ? L’homme qui régnait sur la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) depuis 2010 était réputé comme l’un des intouchables du Cameroun, à la tête d’un service opaque, au budget réputé illimité et qui dépend directement du président Paul Biya. Depuis février 2023, il est incarcéré et considéré comme l’un des principaux suspects de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, tout comme son ancien numéro deux, le directeur des opérations des la DGRE, le lieutenant-colonel de gendarmerie Justin Danwe, et l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga.
L’affaire fait trembler le Cameroun depuis le 22 janvier 2023, lorsque le corps de l’animateur de l’émission quotidienne « Embouteillage », sur Amplitude FM, durant laquelle des affaires de corruption étaient citées, a été retrouvé sur un terrain vague de la banlieue de Yaoundé. Martinez Zogo avait disparu cinq jours plus tôt et, selon les premiers éléments de l’enquête, avait été kidnappé et torturé. Une opération menée « pour faire taire le journaliste », selon les éléments recueillis par Reporters sans frontières (RSF), et qui, d’après l’instruction, a été commanditée par M. Amougou Belinga et exécutée sous la supervision de M. Danwe – lequel a mis en cause son patron, M. Eko Eko.
Alors que de nombreuses zones d’ombre persistent autour de ce crime, la puissante DGRE apparaît durablement affaiblie. Remettre ce service clé du pays en ordre de marche est désormais la tâche du nouveau patron des services secrets, nommé il y a seulement un mois. Le 19 décembre, deux décrets signés par Paul Biya et lus au journal de 20 heures ont annoncé que Jean Pierre Robins Ghoumo était nommé en remplacement de M. Eko Eko, et qu’il aurait pour adjoint le colonel de gendarmerie Mesmin Magloire Aristide Eloundou.
Un civil à la tête des renseignements
Formé entre 2000 et 2003 à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC), la fabrique des diplomates camerounais, M. Robins Ghoumo est un civil, ce qui constitue une première pour la DGRE, service traditionnellement dirigé soit par un commissaire de police, soit par un officier supérieur de gendarmerie. Mais l’homme est un habitué du renseignement. Après avoir été en poste au ministère des relations extérieures, il a travaillé au secrétariat général de la présidence, où il était notamment chargé d’analyser les notes des renseignements, mais aussi les bulletins quotidiens en provenance de tous les services qui forment l’appareil sécuritaire du pays. Une documentation ensuite transmise à Paul Biya.
Originaire du département de la Menoua, c’est un Bamiléké de la région de l’Ouest, une ethnie très peu représentée dans les hautes responsabilités au sein d’un appareil sécuritaire largement dominé par les ressortissants des régions du Centre, du Sud et de l’Est.
Son profil singulier va-t-il faire changer les méthodes de la DGRE ? Sous la direction de M. Eko Eko, une série d’événements avaient braqué les projecteurs sur ce service. Dès août 2011, la presse locale avait révélé que des éléments de la DGRE avaient été mobilisés pour enquêter sur le vol d’un bébé à l’hôpital gynéco-obstétrique de Ngousso, à Yaoundé, ce qui semblait être une tâche éloignée de ses attributions. Plus tard, en 2012, la DGRE avait arrêté l’ancien ministre de l’économie Polycarpe Abah Abah dans son plus simple appareil, alors que celui-ci était soupçonné durant une permission de ne pas vouloir réintégrer la prison de Kondengui, à Yaoundé, où il était incarcéré pour détournement de deniers publics.
Le cas de Mbara Goulongo Guerandi avait quant à lui révélé les moyens dont disposent les services secrets. En 2014, la DGRE avait mené une opération clandestine d’enlèvement et d’exécution de cet ancien capitaine de l’armée impliqué dans le putsch manqué du 6 avril 1984 contre Paul Biya et exilé au Burkina Faso. L’affaire Zogo est le dernier des dossiers à avoir mis en lumière les actions de la DGRE, que les nouveaux dirigeants du service ont désormais pour tâche de faire oublier.
Cet article a été publié sur Le Monde.