Comment des contrats pétroliers ont créé une crise diplomatique entre le Tchad et le Cameroun

Ndjamena a rappelé son ambassadeur au Cameroun « pour consultation », alors que le Tchad compte sur le Cameroun pour ses importations et exportations. Décryptage.

Derrière le rappel de son ambassadeur basé à Yaoundé, un communiqué de la présidence tchadienne accuse les autorités camerounaises d’avoir laissé « plusieurs de ses lettres sans réponse ».

Selon le même communiqué, la crise a éclaté autour de l’affaire du rachat des actions de la société américaine Exxon Mobil par la société britannique Savannah Energy. Une acquisition à laquelle le Tchad s’oppose.

En effet, en décembre 2022, Exxon Mobil qui assure le transport du pétrole tchadien jusqu’à Kribi au Cameroun avait annoncé avoir vendu ses parts à la société Savannah. Seulement, pour le Tchad, cette dernière ne « dispose pas de capacités ni de garanties demandées par le Tchad », rapporte le communiqué du conseil extraordinaire des ministres du 27 mars dernier, consulté par BBC Afrique.

Le Tchad y émet « des réserves et des objections à cette cession car le pétrole est un domaine stratégique pour le Tchad représentant plus de 80 % des recettes d’exportation ».

Crise avec le Cameroun

Ce que le Tchad dit ne pas comprendre, c’est qu’après plusieurs relances, le Cameroun, qui constitue la seule voie d’exportation du pétrole tchadien (903 kilomètres de tuyaux du pipeline Tchad-Cameroun passent sur le territoire camerounais pour amener le pétrole tchadien à Kribi dans le sud du pays), soit resté muet après avoir été informé « des agissements inamicaux et contraires aux intérêts du Tchad, posé par ses représentants au conseil d’administration de Cotco/Totco ».

Cotco côté camerounais, et Totco côté Tchadien, sont des sociétés filiales de l’américain Exxon Mobil, avec qui Ndjaména est en froid. Totco, jusqu’à un passé récent, gérait encore les quelque 180 kilomètres du pipeline côté tchadien. Sa filiale camerounaise Cotco continue de gérer les 900 kilomètres de tuyaux qui transportent le pétrole tchadien sur le territoire camerounais.

Ce qui irrite davantage Ndjamena, c’est que selon la présidence, les autorités ont appris le 20 avril 2023, « par voie de presse, la signature d'un accord prévoyant la cession par une filiale de Savannah Energy PLC de 10 % du capital social de Cotco, en contradiction avec les conventions et les statuts de COTCO, à la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) du Cameroun ».

En termes simples, le Cameroun a pactisé avec la société que le Tchad rejette, en rachetant 10 % de ses parts, pour un montant de 44,9 millions de dollars, soit environ 26 milliards de francs CFA.

Outre ce dossier, le Tchad, dans le processus de nationalisation de la gestion de son pétrole, validé par le parlement de transition et promulgué par le président Mahamat Idriss Deby, fin mars, a décidé d’acquérir « de commun accord » les 30 % des parts de la compagnie malaisienne Pétronas, qui, avec Exxon et l’Etat tchadien, cogéraient le secteur pétrolier du pays.

Les autorités disent avoir demandé via la CEMAC , les avis des ministres du Commerce de tous les pays de la sous-région, conformément aux lois communautaires. « Plus d’un mois après, seul le Cameroun n’a pas répondu à l’avis de non-objection adressée par la CEMAC ». Une réponse qui devrait, à terme, permettre à Ndjamena de poursuivre l’acquisition des parts de Pétronas.

BBC Afrique a sollicité le ministre camerounais du Commerce Luc Magloire Mbarga Atangana, pour savoir si son département ministériel a reçu les lettres dont parle Ndjamena. Jusqu’au moment où nous publions cet article, nous n’avons pas eu de réponse de sa part.

Entre temps, les autorités tchadiennes ont décidé de rappeler l’ambassadeur basé à Yaoundé « pour consultation ».

Les implications du rappel de l’ambassadeur tchadien

Le Tchad dépend majoritairement du port de Douala au Cameroun pour ses importations, qui représentent 80 % d’entrées de marchandises sur le territoire tchadien, selon son ministère des Infrastructures et des Transports. Ndjaména dépend aussi à 100 % du Cameroun pour l’exportation de son pétrole qui transite par une base flottante à Kribi dans le sud du pays via un oléoduc de plus de 1000 kilomètres construit entre les deux pays.

Le gestionnaire Cotco dit avoir transporté le pétrole brut tchadien pour une valeur estimée à 4,5 milliards de dollars en 2022. Ce qui s’estime à près de 2700 milliards de Francs CFA.

Dans son rapport du premier semestre de la même année, Cotco rapporte que le Cameroun a gagné 18,6 milliards de francs CFA de droit de transit du pétrole tchadien.

Pour les experts, le rappel de l’ambassadeur tchadien, ne signifie pas la rupture des relations entre les deux pays. « C’est une procédure admise dans les relations diplomatiques lorsqu’il y a un malentendu entre deux pays », analyse un diplomate en service au ministère des Relations Extéreures du Cameroun pour qui, cet acte vise à « mettre la pression ou à attirer l’attention des autorités du pays d’accueil pour leur signifier un mécontentement ».

Cet article a été publié sur BBC News.

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