En Ouganda, le rêve des milliards du pétrole éclipse le climat
Kampala mène un projet pétrolier très controversé, impliquant la construction du plus long oléoduc chauffé au monde. Mais ce pays pauvre, enclavé et peu émetteur, y voit un tournant à son destin.
Peut-on devenir un pays pétrolier en 2024 ? Pire, dans cinq ou dix ans ? En décembre 2023, l’année la plus chaude de l’histoire s’est achevée avec un consensus des gouvernements de la planète à « abandonner progressivement les énergies fossiles » lors de la COP28 de Dubaï. Et pourtant une dizaine de pays africains s’apprêtent à rejoindre le club des exportateurs de pétrole et de gaz parmi lesquels l’Ouganda, le Sénégal et le Niger.
En Ouganda, la comparaison avec la Norvège, ce lointain pays d’Europe, est sur toutes les lèvres des décideurs. Pas pour son froid polaire ou la beauté majestueuse de ses fjords mais pour sa gestion de la manne pétrolière : Oslo est souvent érigé en modèle pour avoir consacré ses revenus pétroliers à la diversification de son économie, garantissant ainsi sa richesse bien au-delà de l’or noir. Aujourd’hui, l’Etat nordique affiche le troisième PIB par habitant le plus élevé au monde (101 000 dollars, soit 91 500 euros).
Un rêve éveillé pour l’Ouganda, l’un des pays les plus pauvres de la planète (1 163 dollars de PIB par habitant), enclavé dans la très chaotique Afrique des Grands Lacs. Tenu d’une main de fer depuis 1986 par Yoweri Museveni, ce pays rural à la population extrêmement jeune (75 % de moins de 30 ans) souffre d’un criant déficit d’accès à l’éducation, à la santé ou encore à l’électricité, notamment dans les campagnes (moins de 36 %). Kampala s’affiche certes comme un hub dynamique, avec sa culture de la fête, ses embouteillages légendaires et ses bruyantes nuées de motos-taxis, mais l’économie y reste très informelle et violemment inégalitaire.
La découverte de gisements de pétrole à partir de 2006 autour du lac Albert, à l’ouest, a suscité de grands espoirs. Après plusieurs retards, le pays vise désormais pour 2025 l’exploitation d’environ 1,4 milliard de barils tirés de deux blocs : Tilenga, le plus grand, opéré par le français TotalEnergies, et Kingfisher, confié au chinois Cnooc.
Une « bombe climatique »
Le projet suscite aussi d’immenses critiques, bien au-delà de ses frontières. Environ un tiers des puits de Tilenga sont en train d’être creusés dans les Murchison Falls, un parc national abritant lions, éléphants, léopards et de multiples espèces d’oiseaux. Kingfisher, lui, va extraire le pétrole des eaux du lac Albert, dont vivent des communautés de pêcheurs. Sans compter que tous ces barils, ou presque, seront exportés via un oléoduc géant traversant l’Ouganda, puis la Tanzanie, sur près de 1 500 kilomètres jusqu’au port de Tanga.
Cet article a été publié sur Le Monde.