Francophonie en Afrique: en RDC, l'avenir du français tout tracé?
En République démocratique du Congo, le français est la seule langue officielle au milieu de centaines de dialectes. Une position qui fait, sur le papier, de l'ancienne colonie belge le deuxième pays francophone au monde après la France. Pourtant, la langue de Voltaire n’est plus perçue comme un passeport assurant l'ascension sociale.
Il est presque 8h sur le boulevard du 30-Juin, au pied d’un des « sauts-de-mouton » de Kinshasa, comme l’on désigne ici ces ponts urbains censés aider à décongestionner la capitale congolaise. À proximité du Congo American Language Institute (CALI), les parkings sont déjà saturés, les véhicules occupent une partie du trottoir, empiétant sur la chaussée. Des dizaines de personnes se pressent pour assister aux cours. « Ma journée, je la commence ici, indique Nathalie Sekabuhoro, foulard autour du cou, la trentaine révolue. J'ai pris la vacation 8h-10h. Je suis mes cours, et après, je vaque à d’autres occupations. » Depuis environ un an, sa vie est rythmée par ce programme qu’elle juge capital après 17 ans passés sur les bancs de l’école, entre le primaire et l’université.
Les cours sont onéreux, mais l’école, vieille de 60 ans, a vu ses chiffres exploser ces cinq dernières années, s’enthousiasme le directeur du CALI, Dodo Mbenga. « On avoisine les 10 000 élèves par an. En 2021, on était autour de 1 600, 1 700 apprenants. Les gens viennent pour plusieurs raisons. C’est vrai que la RDC est un pays francophone, mais l’environnement professionnel est plus anglophone. La plupart des investisseurs dans ce pays sont des anglophones dans presque tous les secteurs, le monde humanitaire a aussi renforcé ce phénomène : dans toutes ces organisations, la langue de travail, c'est l’anglais. Apprendre l’anglais est donc devenu une nécessité », explique le responsable.
S’il n’existe pas de données officielles concernant l’engouement des Congolais pour l’anglais, ces dernières années, les formations comme celle dispensée au CALI ont fleuri partout. On y rencontre des travailleurs, des étudiants, mais aussi des chômeurs à la recherche d’un emploi. Et même des hommes politiques.
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Dans l’un des pays les plus pauvres du monde, où le chômage des jeunes est très élevé, l'anglais est perçu comme un passeport pour une meilleure intégration professionnelle. « Je suis une femme entrepreneure, et dans le monde des affaires, on regarde beaucoup plus les anglophones », assure Nathalie alors que les cours commencent. « L’anglais, c'est un atout majeur de nos jours. Lorsque vous ne parlez pas anglais, c’est comme si vous étiez “analphabète”. Je suis ici pour booster ma carrière. Dans le monde du travail aujourd’hui, on exige de vous d’avoir une certaine connaissance en anglais. Sinon, vous êtes disqualifié d’office. »
Langue commune de communication
Depuis la colonisation belge il y a un siècle et demi, le français est la seule langue officielle en République démocratique du Congo, aux côtés des quatre langues nationales reconnues par la Constitution – le kiswahili (parlé dans l’est du pays), le lingala (parlé dans le Nord), le tshiluba (parlé dans les zones centrales) et le kikongo (parlé surtout dans l’Ouest) et des dizaines de langues locales.
Aucune n’étant parlée sur toute l’étendue de ce territoire grand comme quatre fois la France, la langue de Molière a été utilisée comme langue commune de communication et choisie comme langue d’enseignement, bien qu'elle ne soit pas comprise par l'ensemble de la population.
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Selon l’Observatoire de la langue française (OIF), 78% des 100 millions d’habitants parlent aujourd’hui le français, ce qui fait de la RDC, sur le papier, le deuxième pays francophone au monde en nombre de locuteurs. Le français ne semble donc pas avoir de souci à se faire, d’autant que, toujours selon les données de l’OIF, il affiche l’un des plus gros taux de progression du nombre de francophones.
Néanmoins, quand on évoque l’évolution de cet idiome en RDC, les réactions ne sont pas si optimistes. Sans parler de désaffection, on s’alerte souvent d’une baisse du niveau. « Le français est perçu comme une science complexe, il donne plus de fil à retordre aux jeunes, avec les accords, la ponctuation, le vocabulaire et les figures de style, affirme Laurent Makiese, enseignant d’anglais dans un collège catholique. L’anglais est plus simple à enseigner et à apprendre. Les règles ne sont pas aussi compliquées qu’en français. Il est possible d’avoir des gens qui ne savent ni lire, ni écrire en français, mais qui s’en sortent pas mal en anglais. »
L’enseignant assure avoir connu « beaucoup d’étudiants qui s’expriment toujours mal en français malgré plus de dix ans passés à l’école et qui parlent mieux l’anglais au bout d’une année et demie de formation ».
Pour Raoul Ekwampok, professeur à la faculté des lettres de l’université pédagogique nationale, le français est « en perte de vitesse ». « Il n’y a pas de décision politique, mais il y a un grand engouement pour l’apprentissage de l’anglais. Le français n’est plus bien maîtrisé, il n’est plus prisé comme avant. Quant aux langues locales, précise-t-il, elles sont dans un processus de créolisation : quand on les parle, elles sont truffées de mots français. »
En finir avec l'hégémonie du français
Le français a beau avoir été adopté comme langue commune au Congo après l’indépendance, pour beaucoup ici, il reste la langue du colonisateur, celle des élites aussi. Son usage n’est pas neutre. La volonté de se démarquer en parlant une autre langue, locale ou étrangère comme l’anglais est réelle.
Au Parlement, où les députés et sénateurs sont autorisés à intervenir en langue nationale lors des séances plénières, cette question linguistique est prise au sérieux. Même si aucune initiative d’envergure n’a été entreprise, la sénatrice Francine Muyumba, elle-même polyglotte, murit l’ambition de faire de l’anglais une autre langue officielle. Mais il faudrait pour cela réviser la Constitution. « En attendant, nous sommes en train de voir les voies et moyens de permettre à nos enfants de pouvoir étudier en anglais, explique-t-elle. J’aime beaucoup la langue française parce que nous sommes dans la francophonie, néanmoins nous avons également le droit d’ajouter d’autres langues qui peuvent permettre à la RDC de décoller. Le Rwanda préside la Francophonie alors que le pays a le kinyarwanda comme langue officielle, puis l’anglais et le français. »
La sénatrice plaide, elle aussi, pour promouvoir les langues nationales dans cette tour de Babel qu’est le Congo. « Chez nous, les gens considèrent parfois que bien parler français, c'est être intelligent. Mais ça n’a rien à voir ! », s’agace-t-elle. « Nous sommes aussi en train de voir comment promouvoir nos langues nationales et permettre que les services administratifs puissent les utiliser. »
La concurrence de l’anglais ne date pas d’hier, estime Laurent Makiese. Mais pour lui comme pour d’autres, c’est l’hégémonie du français dans l’enseignement qu’il faut remettre en question. « Dans les écoles privées, l’anglais s’apprend dès l’école primaire jusqu’à l’université. Dans les écoles publiques, qui comptent le plus grand nombre d’élèves, les langues nationales ne sont enseignées qu’au niveau du primaire, l’anglais prend le relais au secondaire jusqu’à l’université. Cette concurrence doit avoir provoqué chez les élèves ou étudiants un goût d’inachevé qui les poussent à envahir les centres d’apprentissage devenus aussi un business florissant à travers le pays », commente-t-il.
Pour Raoul Ekwampok comme pour les autres linguistes congolais, l’avenir du français en RDC passera par la cohabitation avec les autres langues. Pour cela, « il est important que la francophonie revoie ses méthodes pour voir comment faire cohabiter la langue française avec les autres langues, notamment les nôtres ». Depuis 2012, le programme Elan de l’OIF, expérimenté dans certaines régions, vise à favoriser l’apprentissage de base dans une langue nationale en parallèle du français dès les premières années de l'école primaire. Un enseignement bilingue, jugé bénéfique pour l’ensemble de la scolarité, qui doit se généraliser. Mais passé les premières années, les langues locales tendent à disparaître de l’enseignement.
Si le français a encore de beaux jours devant lui en RDC, son avenir est intimement lié à celui du système éducatif, en crise. Depuis quatre ans, une réforme a rendu l’enseignement primaire gratuit. Les autorités espèrent ainsi réduire le taux d’analphabétisme. Quand on sait que, selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) datant de 2020, près de 30% des Congolais ne savent ni lire ni écrire, le défi à relever est de taille.
Cet article a été publié sur RFI.