Nicolas Kazadi, ministre des Finances: «La RDC a quasiment triplé ses ressources propres»
Renégociation des contrats miniers, désenclavement des provinces, diversification de l’économie, liberté de la presse, le ministre des Finances congolais Nicolas Kazadi répond aux questions de RFI alors qu’approche le scrutin présidentiel.
D’abord nommé ambassadeur itinérant après l’élection de Félix Tshisekedi, Nicolas Kazadi est depuis 2021 ministre des Finances du gouvernement congolais. Membre du premier cercle du chef de l’État, l’économiste, qui a notamment travaillé quinze ans pour le programme des Nations unies pour le développement, revient pour RFI sur les grands dossiers économiques qui mobilisent les autorités et dresse un bilan de leur action un peu plus de deux mois avant l’élection présidentielle prévue le 20 décembre.
RFI : Vous étiez cette semaine aux assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale à Marrakech. Quel message avez-vous transmis de la part du chef de l’État aux partenaires de votre pays ?
Nicolas Kazadi : Que nous devons absolument consolider le nouvel élan en cours en RDC, les efforts d'assainissement et d'amélioration de la gouvernance économique et politique. Nous allons bientôt tenir une élection générale. Et comme j'ai l'habitude de dire, si l'élection de 2018 était la plus pacifique, celle de 2023 sera en plus la plus transparente.
La semaine dernière, vous avez participé à un important forum agricole à Kinshasa. Le sol-a-t-il une revanche à prendre sur le sous-sol en RDC, comme le dit depuis quelques années le gouvernement ?
Oui, absolument. Pour ceux qui connaissent l'histoire de ce pays, c’est entre autres la culture de l'hévéa, qui a généré les revenus permettant de financer l'exploitation minière. Malheureusement, la montée en puissance des mines s'est faite au détriment de l'agriculture qui était la véritable vocation du pays.
La RDC importe encore massivement pour répondre aux besoins alimentaires des populations. Cela contribue aux déséquilibres de la balance commerciale et renforce l’inflation. Comment comptez-vous réduire cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur ?
Il faut que l'on crée les conditions pour rétablir la compétitivité du secteur agricole. Elle a été perdue. D'abord parce qu’il y a eu une destruction des infrastructures essentielles, notamment de transport, indispensables pour le développement agricole et aussi à cause d'une gouvernance qui n'a pas toujours été favorable.
Notre stratégie actuelle, c'est de tout faire pour créer les conditions qui inciteraient les gens à aller dans le secteur agricole plutôt que de se cantonner dans le secteur minier, qui reste une enclave et qui n'est pas aussi porteur de développement que peut l'être l'agriculture.
Mais le secteur minier représente encore plus de 40% du produit intérieur brut de la RDC, contre 20% pour l'agriculture. Est-ce que dans ce domaine, la RDC a retrouvé au cours du mandat de Félix Tshisekedi une partie de sa souveraineté ?
Oui, absolument. Nous avons une gestion des contrats qui aujourd'hui est totalement transparente et cela s'est d’ailleurs traduit par une amélioration sensible de notre notation auprès de l'Initiative sur la transparence dans les industries extractives (Itie). Mais nous ne voulons pas revenir à une période où l’État contrôlait le secteur via la Gécamines. Ce qui est important, c'est que le pays tire le plein bénéfice de ses ressources. Il faut que l’activité minière et la fiscalité permettent de diversifier l'économie en accélérant notamment le financement des infrastructures pour promouvoir les autres secteurs, au premier rang desquels l'agriculture.
Mines contre infrastructures, c’est l’objet de la convention signée en 2008 avec la Chine. En février dernier, l'Inspection générale des finances pointait un déséquilibre majeur en défaveur de la RDC pour ce que les autorités avaient qualifié à l’époque de « contrat du siècle ». Est-ce que ces termes vont être rééquilibrés ?
Il est en cours de réexamen, mais il n'y a pas que ce contrat-là. Il y a aussi des ajustements concernant la mine de Tenke Fungurume (TFM). TFM a repris ce qui était la plus grande mine de cuivre, de cobalt du Congo. Il y a eu les évolutions qu’on attendait au profit de la Gécamines et donc, de l'État congolais (obtention de 800 millions de dollars en paiement compensatoire et d’au moins 1,2 milliard de dollars de dividendes sur plusieurs années, garantie de l’octroi de 20% de la valeur de la sous-traitance du projet). Concernant Sicomines – consortium qui réunit les intérêts congolais et chinois dans le cadre du contrat du siècle – ça va être un peu plus long parce que c'est un peu plus compliqué.
Le programme de développement des 145 territoires est aussi un projet phare du gouvernement. À l’origine, il était prévu sur la période 2021-2023. À près de deux mois de l'élection présidentielle, où en est-on ?
Dans tous les projets, et surtout dans un contexte marqué par un important déficit en infrastructures de transport, il y a toujours des décalages entre le timing prévu et les réalisations. Mais nous pouvons dire que la première phase, celle de construction des bâtiments essentiels pour marquer la présence de l'État et des bâtiments à caractère social comme les écoles et les centres de santé, évolue bien. Cette phase va se poursuivre en 2024.
La seconde étape concerne notamment les routes de desserte agricole. Celle-ci a pris aussi un petit peu de retard. Nous avons conçu un grand programme d'acquisition de plus de 5 000 engins lourds à répartir sur les 145 territoires. Leur gestion se fera dans le cadre d’un partenariat public-privé (ppp) pour qu’elle soit efficace et ainsi reconquérir les milliers de kilomètres de routes que nous avons perdus faute d'entretien pendant des décennies.
En même temps, nous avons eu au niveau national un grand débat sur la caisse nationale de péréquation, prévue dans la constitution depuis 2006, mais qui n'est opérationnelle que depuis l’année dernière et va monter en puissance. C’est elle qui évalue les disparités entre les territoires et formule des plans pour les résorber.
Autres ouvrages emblématiques du potentiel de la RDC et des difficultés à le réaliser, les barrages d'Inga. Pourquoi actuellement Inga 1 et Inga 2 ne fonctionnent pas à plein régime ?
Inga 1 et Inga 2 ont subi ce que le pays a subi pendant quelques décennies. Mais nous travaillons à leur réhabilitation, qui pourrait accroître de plus de 1000 mégawatts leur capacité. Reste que nous avons besoin d'aller plus loin parce que nous voulons transformer nos minerais et que ces activités sont très consommatrices d'énergie électrique. Ce sont des milliers de mégawatts dont nous aurons besoin très rapidement. Et puis nous espérons que, au regard des enjeux climatiques mondiaux, qu'enfin la communauté internationale va s'intéresser davantage à ce projet qui est essentiel, pas seulement pour le pays, mais pour l'Afrique et même un peu pour le monde.
Justement, est-ce qu'on assiste pour le projet Inga 3 à un regain d'intérêt de l'Afrique du Sud ?
L'intérêt de l'Afrique du Sud est permanent et j'en veux pour preuve les propos tenus par le président sud-africain à Paris lors du récent sommet organisé par le président Macron.
Le gouvernement congolais vient de présenter un budget en très forte augmentation, en franc congolais.
L'augmentation est nominale – environ 20% -, mais en termes réels, elle n'est pas considérable, parce que nous devons être prudents. Nous n'anticipons pas une hausse importante, ni de la production, ni du coût de nos principaux produits d'exportation. En dollars constants, nous sommes donc à peu près au même niveau que le budget voté pour 2023.
Un peu moins d'un tiers repose sur l’aide publique au développement qui a connu une certaine augmentation ces 3, 4 dernières années. Mais nous avons aussi quasiment triplé nos ressources propres ces trois dernières années, ce qui est un exploit considérable et nous pensons que nous pouvons aller plus loin. Il y a eu un accroissement important de la production minière, rien que pour le cuivre, on est passé de 1,8 million de tonnes en 2021 à 2,5 millions de tonnes en 2022. Nous avons également bénéficié d'une bonne tenue des cours, mais cela, nous ne le maîtrisons pas totalement.
Parce qu'au niveau des conditions de vie des Congolais, beaucoup reste à faire. Elles ont peu évolué.
C'est vous qui le dites. Depuis 2019, nous avons introduit la gratuité de l'enseignement primaire. Cela a permis de transférer du budget de l'État vers les ménages plus d'un milliard et demi de dollars. Et là, nous venons d'ajouter la gratuité de la santé en commençant par les accouchements. Tout cela, ce sont des transferts qui se traduisent par une amélioration du bien-être des populations. Nous avons également beaucoup fait pour limiter la hausse du prix du carburant. C'est aussi une façon de protéger les Congolais. C’est difficile de dire que personne ne le ressent. C’est vrai que ce qui reste à faire reste très important. Mais nous avons réduit le taux de pauvreté selon certaines analyses de 10 points de pourcentage. Nous serions passés d'environ 72% à 62%.
Est-ce que le financement des élections est assuré ? On a vu que la Ceni avait recours à des prêts en attente des versements de l'État.
Oui, mais ces prêts sont faits avec la garantie du Trésor, donc il n’y a rien d'anormal. Nous faisons face à beaucoup de contraintes et de pression, mais les élections se tiendront bien à la date prévue.
Depuis un mois, le journaliste Stanis Bujakera Tshiamala, directeur adjoint du site Actualité CD, collaborateur du média Jeune Afrique et de l'agence Reuters, est emprisonné. La justice congolaise a annoncé qu'il serait jugé. Pourquoi fait-il l'objet d'un traitement aussi dur ?
Parce qu'il ne s'agit pas d'une affaire de journalisme, mais de sécurité intérieure. Donc ce serait une grave erreur que de se réfugier derrière le statut des journalistes. Notre pays est fragile, en construction, et il ne faut pas profiter de cette faiblesse pour mettre en péril sa stabilité, surtout à l'approche des élections.
À quelques semaines de la présidentielle, la place d'un journaliste peut donc être en prison.
S’il en va de la sécurité du territoire, de la protection de l'intégrité d'une élection pour la protéger de manipulations diverses, oui, je trouve que c'est normal. Mais attendons que la justice nous éclaire sur ce dossier.
Cet article a été publié sur RFI