RDC: «Le défi de l'opposition sera de créer une nouvelle dynamique autour d'une ou deux candidatures»

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En RDC, on sait maintenant qui est sur la ligne de départ pour la présidentielle du 20 décembre. Le dépôt des candidatures est terminé depuis ce 8 octobre soir. De Félix Tshisekedi à Moïse Katumbi en passant par Martin Fayulu et le docteur Mukwege, tous les poids lourds sont là, ou presque. Le scrutin étant à un seul tour, le Président sortant espère pouvoir profiter de la multitude de candidats de l’opposition. Ceux-ci vont-ils être capables de se regrouper ? Trésor Kibangula est analyste politique à Ebuteli, l’Institut congolais de recherches sur la politique, la gouvernance et la violence. En ligne de Kinshasa, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Enseignement primaire gratuit, début de la couverture maladie universelle : le Président Tshisekedi défend son bilan pour se présenter à un second mandat. Mais est-ce qu’il a une chance dans un pays où les fonctionnaires ne gagnent même pas 200 dollars par mois ?

Trésor Kibangula : C’est vrai que le Président Tshisekedi a essayé, pendant ce premier quinquennat, de pousser pour certaines mesures sociales. Il y a eu cette gratuité de l’enseignement de base où des millions de jeunes écoliers sont retournés à l’école, il y a le début de la couverture de santé universelle, avec toutes les critiques autour de ces deux mesures phare – le fait que ça n’ait pas été progressif, et que ça impacte même la qualité de l’enseignement. Mais, en même temps, le Président sortant Félix Tshisekedi n’a pas encore atteint le même niveau de désamour qu’avait son prédécesseur, certains lui accordent même quelques excuses parce que le pouvoir a commencé avec une sorte de cohabitation qui a duré au moins deux ans. Il y a beaucoup de promesses, beaucoup de bonnes intentions, mais la manière de mettre ça en place, c’est vrai que ça prend un peu plus de temps.

Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Adolphe Muzito, Matata Ponyo, Delly Sesanga, et maintenant le docteur Mukwege et Floribert Anzuluni pour la société civile : est-ce que la présidentielle à venir ne risque pas d’être saturée de candidats de l’opposition et de la société civile ?

Je pense que le défi de ce camp aujourd’hui contre Félix Tshisekedi, ce sera de parvenir à recréer une nouvelle dynamique autour d’au moins une ou deux candidatures. Partir comme ça, très dispersé, risque de ne pas être efficace, parce que pour une présidentielle, il faut le rappeler, à un tour, mieux vaut aller groupé que dispersé. D’autant qu’en face de ce camp anti-Tshisekedi, certains grands noms de la scène politique congolaise, Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe, se sont déjà alignés pour soutenir Félix Tshisekedi.

Il y a cinq ans, Martin Fayulu avait réussi une grosse performance électorale, mais n’avait pas été proclamé Président, est-ce qu’il peut prendre sa revanche ?

C’est possible, ça dépendra de la dynamique de campagne, Martin Fayulu retourne au charbon. À la différence de 2018, ses soutiens d’hier sont aujourd’hui des concurrents, parce que tous sont aussi dans la course, donc ça va être difficile, mais le combat pour parvenir à cette revanche dépendra aussi de la qualité des élections.

Il y a trois mois, Martin Fayulu avait dit qu’il boycotterait le scrutin à venir tant que le fichier électoral ne serait pas audité, or rien n’a été audité, et pourtant, aujourd’hui, Martin Fayulu change d’avis et se présente. Est-ce qu’il faut craindre une fraude massive de la part de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) ?

Lorsqu’on regarde les candidats sortir du bureau de la Céni pour déposer leur candidature, leur dossier, tous appellent à plus de transparence. C’est-à-dire que les gens craignent qu’il y ait des fraudes massives. Après le refus de l’audit [du fichier électoral] par un cabinet indépendant, avec l’OIF qui aurait été partie, les Églises ont demandé à ce que la Céni autorise ne serait-ce qu’un audit citoyen. Là aussi, la Céni a dit non, donc un processus électoral, qui avance sans que les parties prenantes ne fassent confiance à ce qui est en train d’être fait, pose le décor des contestations et, malheureusement peut-être, de violences électorales.

Moïse Katumbi fait souvent de bons chiffres dans les sondages de ces dernières années, mais n’a jamais pu encore se présenter. C’est sa première candidature. Quelles sont ses chances ?

C’est vrai qu’on va quand même souligner cette volonté du côté du pouvoir de ne pas empêcher quiconque de se présenter, on voit beaucoup de candidatures de l’opposition s’aligner. Aujourd’hui, je pense que c’est très difficile de mesurer les chances des uns et des autres. Moi, je pense que le principal défi de l’opposition ce sera d’arriver à recréer un momentum comme on a vu à Genève la dernière fois, en novembre 2018, autour d’une candidature commune, parce que ce sera très difficile d’avoir un seul candidat de l’opposition. Mais s’ils arrivent, si de grands leaders de l’opposition arrivent à pousser une candidature, là on pourra parler de vraies chances de ceux qui vont se présenter face à Félix Tshisekedi.

Voulez-vous dire qu’il faudrait qu’au moins Martin Fayulu et Moïse Katumbi parviennent à s’entendre ?

Je pense qu’il faut élargir ce cercle, en y ajoutant Delly Sesanga et Matata Ponyo, plus le docteur Denis Mukwege qui vient s’ajouter, donc les cinq doivent aujourd’hui discuter pour trouver ensemble une stratégie. Certains candidats doivent accepter de s’aligner derrière une ou deux candidatures de ce camp anti-Tshisekedi.

Le prix Nobel 2018, Denis Mukwege, est novice en politique. Est-ce que le docteur peut faire une percée ou est-ce que c’est trop tard ?

Je ne pense pas que ce soit trop tard, c’est une candidature qui vient redistribuer les cartes, notamment au niveau de l’opposition, parce que c’est quand même quelqu’un de très respecté qui entre en jeu, et est-ce que certains opposants ne pourraient pas s’aligner derrière cette candidature ? Ce sont des choses qui sont en train, je pense, d’être discutées en ce moment.

Cet article a été publié sur RFI.

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