RDC : désavouant le processus électoral, l’opposition parie sur la rue

Alors que les premiers résultats de l’élection du 20 décembre donnent une large avance à Félix Tshisekedi, les principaux opposants rejettent en bloc le scrutin et demandent son annulation.

Avant même la publication complète des résultats provisoires des élections présidentielle et législatives du 20 décembre par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ; sans attendre, non plus, les conclusions des missions d’observation indépendantes, l’opposition semble décidée à déplacer le combat électoral dans la rue. Les principaux candidats opposés au président sortant Félix Tshisekedi rejettent en bloc le scrutin, demandent son annulation et appellent la population à manifester, mercredi 27 décembre - rassemblement que les autorités ont interdit, disant craindre des débordements. Une stratégie risquée, potentiellement porteuse de violences au regard des expériences électorales tumultueuses passées dans ce pays.

Ce rejet des résultats intervient alors que la CENI est loin d’avoir fini d’égrener les résultats, circonscription par circonscription, qui s’affichent au fur et à mesure sur les écrans géants installés dans le centre de décompte de Bosolo, installé pour l’occasion dans le quartier de la Gombé à Kinshasa. Les compteurs des votes avancent avec une lenteur lancinante. Lundi soir, les résultats portaient sur, seulement, 3,2 millions de voix pour un corps électoral de quelque 44 millions de personnes. Ils accordaient une majorité écrasante au chef de l’Etat sortant, environ 80 % des voix.

Pour Hervé Diakiese, le porte-parole de Moïse Katumbi, principal challenger de Félix Tshisekedi, cette énumération lente, parcellaire et disséminée sur l’étendue du territoire n’a d’autre but que « de préparer les esprits à une victoire du président ». « Ils n’ont pas l’intention d’annoncer autre chose », ajoute-t-il. Les proches de Moïse Katumbi, ancien gouverneur de la principale région minière du pays, le Katanga, exigent l’annulation pure et simple du vote. « La CENI fait partie d’une mascarade. Elle est en train de conditionner l’opinion à accepter des résultats iniques. Nous ne l’accepterons jamais, les éléments dont nous disposons démontrent largement que Moïse Katumbi est en tête », affirmait, samedi, Hervé Diakiese.

Les graves dysfonctionnements constatés le jour du vote ont semé le doute sur sa fiabilité. L’archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, a ainsi qualifié le scrutin de « gigantesque désordre organisé », lors de la messe de Noël prononcée dans la cathédrale de la capitale. « La CENI n’était pas prête à organiser les élections le 20 décembre. Elle a voulu faire une organisation par défi, mais voilà les conséquences », a-t-il déclaré, soulignant les frustrations ressenties par de nombreux électeurs.

Défiance entre le pouvoir et l’opposition

Lundi, une poignée des quelque 44 millions d’électeurs votait, enfin, dans de petites circonscriptions reculées, grâce à l’acheminement du matériel électoral par hélicoptère, quatre jours après la clôture officielle du scrutin annoncée par la CENI. La théorie du « désordre organisé » présenté par le cardinal rejoint celle de l’opposition. « Il l’a été pour créer la confusion, décourager les Congolais de voter et ne pas permettre une lisibilité claire des résultats », estime ainsi Hervé Diakiese.

La CENI dément toute intention malveillante mais ajoute à la confusion ambiante. « Le désordre à certains endroits a eu lieu, mais ce n’est pas avec la bénédiction de la CENI. Si un désordre a été organisé, ça ne l’a pas été par nous, mais par d’autres. Parce que pendant que nous on s’apprêtait à organiser des élections crédibles et correctes, eux aussi faisaient leur plan », a indiqué Denis Kadima, énigmatique, dans une interview accordée au site d’information Actualite.cd. Le président de la CENI semblait donc rejeter une partie de la responsabilité du fiasco logistique sur l’opposition.

Cette déclaration révèle surtout l’état de défiance existant entre le pouvoir et l’opposition. « Depuis le début du processus électoral, on constate une absence totale de confiance vis-à-vis du pouvoir et des institutions », observe un diplomate européen, qui s’inquiète « de l’extrême polarisation des différents acteurs ». Ainsi, les principaux candidats n’envisagent pas les recours légaux pour examiner les contentieux. Ils jugent l’organe compétent, la Cour constitutionnelle, inféodée au pouvoir.

Le remplacement du président de cette instance clé, en mai 2022, avait fait polémique et alimenté les accusations de collusion avec l’exécutif. De même que la CENI, dirigée Denis Kadima. Ils considèrent celui-ci comme trop proche de Félix Tshisekedi. Ils le soupçonnent également d’avoir manipulé les listes électorales. Il y a des mois que l’opposition remet en cause l’audit externe mené par cinq experts recrutés par la CENI. Elle soupçonne l’existence d’électeurs fictifs dans le fichier qui favoriseraient la fraude électorale en faveur de l’actuel chef de l’Etat.

« Véritable naufrage du processus électoral »

Le front de la contestation inclut également le Front commun pour le Congo (FCC), la formation politique de l’ancien président Joseph Kabila (2001-2018) qui avait choisi de boycotter le scrutin. Le FCC a dénoncé un « véritable naufrage du processus électoral » et appelle à mettre fin au « régime dictatorial » par la mobilisation populaire.

Samedi, cinq candidats – Martin Fayulu, Denis Mukwege, Théodore Ngoy, Jean-Claude Baende et Nkema Liloo – ont appelé à manifester à Kinshasa mercredi. « Les irrégularités attestent, à suffisance, que le 20 décembre 2023, il s’est agi d’un simulacre d’élections, organisées en violation du droit fondamental du peuple congolais d’être dirigé par un président de la République et des députés et sénateurs régulièrement élus », indique leur communiqué conjoint. De son côté, le gouvernement affiche sa sérénité. Pour son porte-parole, Patrick Muyaya, cet appel à manifester est « un aveu d’échec, un aveu d’impuissance qui pose d’ailleurs aussi un problème de cohérence dans la ligne de l’opposition, parce que certains se disaient déjà vainqueurs », a-t-il déclaré au micro de RFI.

Bien que critique envers le processus électoral, le cardinal Ambongo a appelé « à la prudence et à la retenue » dans son homélie de Noël « Nous attendons les rapports de différentes missions d’observation, notamment celui de la mission conjointe de l’Eglise catholique et de l’Eglise protestante, qui pourraient nous aider à prendre la mesure des irrégularités constatées et à en évaluer l’impact sur la crédibilité de ces élections », a conclu le prélat. L’opposition confie, elle aussi, qu’elle tiendra compte de cet avis. Toutefois, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) n’envisageait pas de communication avant mercredi. Le président de la CENI déclarait lundi être en mesure d’annoncer la totalité des résultats provisoires avant le 30 décembre.

Cet article a été publié sur Le Monde.

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