Qu’est-ce que la "légion étrangère" qui pousse le général Oligui à faire des réformes au Gabon?
Derrière les reformes de la nationalité et du foncier annoncées par le président de la transition gabonaise, se cache un combat contre une « légion étrangère » qui sévit dans le pays.
Ce sont des faits anodins, mais qui ont plein de sens, pour qui sait observer la scène publique gabonaise. Fin mai dernier, Libreville la capitale a connu un remue-ménage né de la contestation de la nomination d’un responsable à la tête de la SEEG, la Société d’énergie et d’eau du Gabon récemment nationalisée.
La pomme de discorde, Ousmane Cissé, un Sénégalo-gabonais désigné à ce poste et considéré comme un "étranger", alors qu’il y a des "Gabonais compétents", dénonçait le syndicat national des travailleurs du secteur de l’eau et de l’électricité (SYNTEE+) qui menaçait d’aller en grève.
Entré en fonction le 22 mai, Ousmane Cissé a finalement rendu son tablier le 25 du même mois, craignant ne pas pouvoir mettre en œuvre sa politique dans un contexte de contestation.
A Libreville, son profil correspond à ceux qualifiés de "légion étrangère". Ces personnes binationales ou de nationalités étrangères qui occupent des hauts postes de responsabilité dans les entreprises publiques y compris à la présidence, et dont les origines gabonaises sont souvent contestées par des Gabonais.
Cercle restreint d’Ali Bongo
Au plus haut sommet de l’Etat, l’origine gabonaise du président déchu Ali Bongo a souvent été contestée, même s’il l’a toujours démentie. Mais son entourage n’y échappe pas.
Son ex bras droit, Brice Lacruche Alihanga a été condamné à cinq ans de prison en 2021. Nommé tout puissant directeur de cabinet d’Ali Bongo en 2017, la justice contestait la procédure que le "franco-gabonais" a utilisée pour obtenir son certificat de nationalité gabonaise, des faits qu’il a reconnus devant le tribunal.
Les gabonais se souviennent aussi du passage controversé à cause de son origine, de Maixen Acrombessi dans ce même poste de "dircab", directeur de cabinet du président Ali Bongo.
Il est resté pendant 7 ans à ce poste stratégique du palais du bord de mer, entre 2009 et 2014. Victime d’un AVC en 2016, il a été muté au poste de "haut représentant du chef de l’Etat", avant de retourner dans son pays, le Bénin, où il a été intronisé roi des Houndji-Hountondji en mars 2019, juste après avoir été débarqué par un conseil de ministre au Gabon.
Les cas de hauts fonctionnaires d’autres nationalités exerçant au Gabon sont légion et souvent source de contestation. Cette "légion étrangère" viendrait du Bénin, du Togo, du Liban, de la France et du Cameroun voisin, estiment les observateurs dans la capitale gabonaise.
Certains font partie des personnalités interpellées à Libreville le 30 août, jour même du coup d’Etat, en possession de plusieurs milliards de Francs CFA dans leurs domiciles.
Le principal challengeur d’Ali Bongo lors de la présidentielle du 26 aout dernier a su surfer sur la vague. L’un des axes de la campagne d’Albert Ondo Ossa était de "redonner le Gabon aux Gabonais normaux". Un slogan qui suscitait des salves d’acclamation lors de ses meetings.
Un peu comme les applaudissement nourris des Gabonais, lors de la cérémonie d’investiture du nouvel homme fort, lorsque le général Oligui Nguema a annoncé son intention de "réviser les conditions d’attribution de la nationalité gabonaise".
Spéculation foncière
L’autre annonce ayant suscité la joie de l’assistance lors de la cérémonie d’investiture du général Oligui, c’est sa promesse de réviser la loi sur le foncier. Au Gabon, en effet, la question du foncier est épineuse.
Dans la capitale par exemple, il existe une forte spéculation foncière, rapporte Petit Lambert Ovono, analyste gabonais des politiques publiques. "Dans la commune la plus huppée de Libreville, Akanda, il y a une forte spéculation foncière, du fait de ce qu’on appelle légion étrangère", dit-il. "Ils s’étaient appropriés pas mal de terrains parfois à des francs symboliques arrachant même des terrains aux propriétaires du coin", poursuit-il.
Travaillant dans un cabinet, une huissier de justice qui n’a pas voulu être citée, nous a confié que le phénomène est très récurent dans le cabinet pour lequel elle travaille. "Il s’agit de personnes, notamment des familles qui se réveillent un matin, et se rendent compte que le terrain qui était le leur ne leur appartient plus, la plupart du temps du fait des hauts placés, souvent de nationalité étrangère", détaille-t-elle, avant d’ajouter que le phénomène ne s’arrête pas à Libreville.
Un fait favorisé par la méconnaissance des procédures, avec la miltiplicité des textes juridiques, estime pour sa part Me Danilo Renaldy Mpia. Huissier de justice exerçant également à Libreville, il pointe aussi du doigt l'usage de passe droits par "des haut gradés de l'administration qui ne respectent pas les procédure en matière d'acquisition et de régularisation, et lorsque viennent les procédures judiciaires, ils ont des privillèges, contrairement aux pauvres".
En 2019, le ministère de l’habitat faisait l’amère constat, selon lequel 80 % des terrains dans la province de l’Estuaire (dont la capitale est Libreville) ont été perdus au profit des Sociétés civiles immobilières et les promoteurs immobiliers (SCI), empêchant à l’Etat de mener ses propres projets.
Et en 2021, le directeur général de l’agence nationale de l’urbanisme, des travaux topographiques et du cadastre, faisant le constat de ce que les "promoteurs qui devaient réaliser les lotissements sur leurs propres comptes ont fait dans la spéculation", a annoncé la que les terrains acquis par les promoteurs privés en 2011 allaient faire "l’objet d’une mutation au profit de la République gabonaise en vue de réorganiser la distribution des terres aux populations, notamment les plus défavorisées".
Le problème serait parti d’une réforme foncière voulue par le gouvernement du président Ali Bongo, dans sa politique d’accès au logement, qui voulait faire construire 5000 logements.
Des titres fonciers ont donc été attribué à des société immobilières privées, qui en ont profité pour faire une spéculation foncière, détournant le projet gouvernemental.
Pour le moment, la BBC n’est pas en mesure d’affirmer si l’intention du gouvernement de faire muter les titres fonciers des terrains cédés à des SCI non mis en valeur, a été appliquée.
Cet article a été publié sur BBC News.