Contrats pétroliers au Tchad : comprendre les tensions entre le gouvernement et l’entreprise britannique Savannah Energy
La compagnie pétrolière britannique Savannah Energy réagit aux accusations de N'Djamena sur le dossier Exxon Mobil, tandis que le Tchad normalise ses relations avec le Cameroun.
C’est un feuilleton, riche en rebondissements. Depuis l’annonce en décembre dernier, du rachat par Savannah Energy, des parts de Esso Tchad, filiale du groupe américain Exxon Mobil, les péripéties de ce feuilleton tiennent l’opinion tchadienne et internationale en haleine.
Le dernier en date est la création par le Tchad d'une société de gestion de son pétrole. On a appris la nouvelle au sortir du conseil extraordinaire des ministres du 24 avril. Selon le compte-rendu de cette réunion, Ndjamena entend donner une autonomie de gestion à la « Chad petrolium Company ».
La création de cette société anonyme de droit OHADA vient concrétiser la nationalisation de la gestion du pétrole tchadien, actée à la fin du mois dernier.
Acte qui a exacerbé les tensions déjà perceptibles entre le Tchad et ses partenaires étrangers dans la gestion de son pétrole, notamment Exxon Mobil qui s'est retiré et a vendu ses actifs à Savannah Energy.
Manque de capacités
"Le Tchad ne reconnaît pas Savannah Energy comme faisant partie du consortium", a récemment déclaré Djerassem Le Bedmadjiel, le ministre tchadien du pétrole, devant les députés.
La raison, selon le gouvernement, est que Savannah aurait acquis les actifs sans le consentement des autorités tchadiennes. "Le ministre sortant (du pétrole) a demandé des informations sur la capacité financière et technique, ni Esso ni Savannah n'était en mesure de prouver cela", a déclaré M. Le Bedmadjiel aux députés.
Selon lui, le Tchad reproche à Savannah non seulement son manque de capacité technique et financière, mais aussi d'avoir acquis ces parts dans le cadre d'une procédure prétendument illégale.
Selon le ministre, citant un accord d'association signé entre la Société des Hydrocarbures du Tchad, la société Petronas et l'Etat tchadien, trois entités qui gèrent le pétrole tchadien, "Exxon Mobil avait 150 jours pour finaliser la vente de ses parts avec Savannah, sous peine de reprendre le processus. Le délai a expiré, mais Exxon a poursuivi la procédure sans en informer les autres partenaires".
Le ministre des Finances est allé plus loin en affirmant que "Savannah n'a pas d'argent, elle n'a pas pu lever de l'argent pour le donner à Esso, qui lui a cédé ses actions à crédit", avant de poursuivre "Je pense que Savannah a tenté de corrompre des gens au Tchad et dans d'autres pays, et ça s'est su", a déclaré Tahir Hamid Nguilin devant le conseil de transition faisant office de parlement.
Réaction de Savannah Energy
Contactée par la BBC, la société britannique nous a envoyé une note écrite dans laquelle elle affirme avoir respecté toutes les exigences de la loi tchadienne avant de finaliser l'achat d'Esso Exploration and Production Chad, désormais appelée Savannah Chad Inc "SCI".
Nous avons appris de ses avocats que Savannah dément fermement toute tentative de corruption et estime que la récente nationalisation de la gestion du pétrole tchadien est "en violation des conventions auxquelles SCI et la République du Tchad sont, entre autres, parties".
En ce qui concerne son "manque de capacité technique et financière", Savannah souligne ses réalisations au Tchad, où elle estime avoir inversé « le déclin historique » de la production de pétrole brut en améliorant la production journalière de 9 % depuis le début de ses opérations en décembre dernier.
Le gouvernement tchadien attribue ce chiffre à l'expertise des travailleurs tchadiens sur le terrain depuis que le personnel de Savannah a été expulsé.
Après l'annonce du rachat des actifs d'Esso Tchad par Savannah, Ndjamena a saisi la justice tchadienne et obtenu la suspension de la transaction entre les deux sociétés, et un employé de Savannah a été détenu à Ndjamena avant d'être libéré.
Savannah a déposé une demande d'arbitrage à Paris, en France, conformément à l'accord entre les parties "pour récupérer ses pertes substantielles".
« Incompréhensions dissipées» entre Yaoundé et Ndjamena
Entre-temps, la société britannique devenue membre du consortium, grâce au rachat des parts d'Exxon Mobil, a vendu, le 19 avril, 10% de ses actions à la société camerounaise de raffinage SNH, ce qui a créé une crise diplomatique entre le Tchad et son voisin le Cameroun.
Ndjamena a dû rappeler son ambassadeur pour consultation. Mais moins d'une semaine après ce rappel, Yaoundé a dépêché le secrétaire général de la présidence à N'Djamena pour rencontrer le dirigeant tchadien. A l'issue de la rencontre, l'émissaire camerounais a reconnu que "certains malentendus" ont été dissipés.
Ndjamena dépend à 100% du Cameroun pour l'exportation de son pétrole, qui transite par une base flottante à Kribi, dans le sud du pays, via un oléoduc de plus de 1 000 kilomètres construit entre les deux pays.
Cotco déclare avoir transporté du pétrole brut tchadien pour une valeur estimée à 4,5 milliards de dollars en 2022, soit près de 2 700 milliards de francs CFA.
Tous les regards sont désormais tournés vers la cour d'arbitrage de Paris pour décider qui a raison dans ce litige entre le Tchad et Savannah Energy.
Cet article a été publié sur BBC News.